Pour commencer

Pour présenter l’ensemble des questions posées par les chercheurs qui réalisent des études scientifiques portant sur l’enseignement des mathématiques, la lecture de l’article écrit par James HIEBERT et Douglas GROUWS est un excellent point de départ. The effect of classroom mathematics teaching on student’s learning publié en 2007 fait le point sur plus d’un siècle de recherches américaines et pose les bases d’une réflexion toujours d’actualité. Une traduction en français est disponible ici au format pdf (la traduction est intégrale, à l’exception de deux parties du texte décrivant des études et qui ont été résumées dans l’annexe 2).

L’analyse de Hiebert et Grouws concerne aussi bien la qualité des études menées ces dernières années que les conclusions qu’il est possible de tirer à ce stade de nos connaissances. Des questions importantes sont posées et discutées : que doit-on mesurer, aussi bien au niveau des méthodes d’enseignement que des apprentissages ? Comment peut-on le mesurer, puis comment mettre en relation toutes ces données ? Pourquoi est-il si difficile de répondre aux questions précédentes pourtant fondamentales ? Quelles pratiques peut-on proposer aux enseignants de suivre avec si peu d’informations fiables ? Les réponses apportées par les auteurs à cette dernière question concernent deux types d’apprentissage particuliers : l’exécution de procédures d’une part ; la compréhension conceptuelle des mathématiques d’autre part. Des caractéristiques d’enseignement qui favorisent l’une ou l’autre de ces compétences ont été identifiées par de nombreux chercheurs qui ont menées des études dans des contextes très variés. Elles sont résumées ici pour que les enseignants puissent les mettre en œuvre en classe avec leurs élèves. Enfin, pour progresser encore dans notre compréhension sur la question des liens entre l’enseignement et l’apprentissage en mathématiques, les auteurs proposent un cahier des charges dont les études empiriques devraient s’inspirer et qui est présenté ci-dessous dans une traduction de leurs conclusions.

En résumé

Publié en 2007 dans le second Handbook of Research on Mathematics Teaching and Learning, Hiebert et Grouws ont écrit ce texte documenté (titre de la traduction française : Comment la manière d’enseigner les maths influence les apprentissages) qui s’appuie sur l’analyse de 160 publications avec deux objectifs en tête. Le premier était d’apporter des éléments de réflexion sur les méthodes de recherche en sciences de l’éducation. Le second d’amener quelques éléments de réponse à une question vieille de plus d’un siècle : quels conseil pratiques peut-on donner à ceux qui souhaitent enseigner efficacement les mathématiques en classe ?

Pour clarifier les méthodes d’analyse et élever la qualité des réponses que les spécialistes en éducation apportent à des questions concrètes, les auteurs proposent un ensemble de critères qui définissent des cadres structurant la mise en œuvre de recherches de qualité. Études de grande ampleur à la recherche d’une corrélation entre deux facteurs ou études qualitatives qui permettent de comprendre et d’interpréter certains faits statistiques sont abordées et analysées sans a priori réducteur. C’est sous l’angle de questions simples comme : « que mesure-t-on ? comment le mesure-t-on ? quelles conclusions peut-on tirer de ces mesures ? » que les auteurs proposent de mettre en place des règles méthodologiques. Parmi les difficultés rencontrées par les chercheurs, l’absence de théories est présentée comme un obstacle important pour mettre en œuvre une recherche efficace, tout comme la pression politique et sociale actuelle.

Dans le même temps, trois caractéristiques d’enseignement sont mises en avant pour leur efficacité démontrée dans l’apprentissage des élèves. La première concerne l’apprentissage de procédures d’exécution (comme des procédures de calcul par exemple). Les auteurs s’appuient sur plusieurs études pour souligner l’existence du lien démontré entre un enseignement directif, de rythme soutenu et basé sur l’exécution par les élèves de nombreux exercices d’application d’une part, et la capacité des élèves à mettre en œuvre ces procédures dites d’exécution d’autre part. Les deux caractéristiques d’enseignement suivantes concernent le développement de la compréhension par les élèves de certains concepts mathématiques. La première, dérivée de la célèbre « opportunité d’apprendre », peut être décrite comme une attention forte portée par l’enseignant à ces concepts durant les heures de cours avec les élèves (il faut proposer aux élèves de traiter de questions mettant en œuvre des concepts mathématiques importants). La seconde caractéristique, moins immédiate, invite à proposer aux élèves des problèmes mathématiques complexes (il convient de leur proposer des exercices dont les réponses ne sont pas immédiates et requièrent réflexion et recherche). Les auteurs montrent enfin que ces deux caractéristiques d’enseignement sont aussi favorables à l’exécution de procédures.

En conclusion (traduction de la fin de l’article)

Nous avions comme objectif annoncé au tout début de ce texte, la volonté d’examiner honnêtement la question de l’efficacité de l’enseignement – pourquoi ce sujet est–il si difficile à documenter ? Qu’est–ce qu’on en sait vraiment ? Et comment la communauté éducative mathématique peut–elle en apprendre plus sur les relations entre enseignement et apprentissage ? Nous maintenons que ces questions touchent au cœur de la recherche sur l’éducation car (1) ces questions sont au fondement de l’activité éducative et sont des sujets de recherche fondamentale et que (2) l’amélioration des pratiques en classe dépend des réponses apportées. Cela place les chercheurs dans une position difficile. Les questions auxquelles ils sont confrontés sont fondamentales et complexes, et dans le même temps ils se trouvent sous la pression des agences gouvernementales et des politiques qui leur demandent de produire des réponses simples et faciles à comprendre, basées sur des preuves, et de les produire rapidement. Comment s’engager dans ce travail de manière efficace ?

Poser la simple question « qu’est ce qui marche ? » (« what works ? ») est actuellement une entrée en matière populaire aux Etats–Unis. Le What Works Clearinghouse lancé en 2004 (Viadero, 2004) est le dernier–né d’une série d’efforts produits par le gouvernement américain (US Departemnt of Education, 1987), les gouvernements des états (par exemple Dixon, 1998) et les organisations professionnelles (par exemple Cawelti, 2004) pour fournir aux praticiens des conseils explicites basés sur des preuves dans le but d’améliorer les pratiques d’enseignement. Le What Works Clearinghouse a comme objectif d’établir une série de recommandations sur les questions portant sur l’éducation en conduisant des analyses sur des programmes d’interventions comme sur les pratiques. D’une façon similaire à la procédure d’analyse mise en œuvre par Dixon (1998) pour identifier les meilleures pratiques mises en œuvre dans les cours de mathématiques, le What Works Clearinghouse va éliminer la plupart des études examinées en utilisant un ensemble de critères de sélection. En particulier, toutes les études qui n’utilisent pas de groupes de comparaison pour leur analyse du lien de cause à effet seront exclues. Les études sélectionnées constituent un segment des études quantitatives de grande échelle décrites plut tôt. Ces études sont un élément important de l’analyse. Elles fournissent des informations essentielles sur la relation entre enseignement et apprentissage. Mais, en général, ces études comparatives à grande échelle ne permettent pas de comprendre pourquoi les relations mises en avant existent, ni comment des caractéristiques particulières d’enseignement favorisent précisément certains types d’apprentissage. Comme nous l’avons déclaré précédemment, les praticiens doivent comprendre pourquoi des caractéristiques particulières d’enseignement favorisent les apprentissages des élèves pour apporter les modifications appropriées et inévitables qui leur permettent de répondre aux besoins de leurs propres classes. Un certain niveau de compréhension est indispensable pour prévenir des mutations létales dans l’enseignement (Brown, Campione, 1996).

Nous applaudissons l’idée de fixer une ligne de conduite pour analyser les recherches afin de déterminer les méthodes efficaces. Les éducateurs ont besoin d’informations fiables pour prendre des décisions informées concernant leur enseignement. Notre inquiétude concernant les limites du cadre fixées par le What Works Clearinghouse, en aucune façon ne diminue l’importance ni l’urgence des objectifs poursuivis par le Clearinghouse. En fait, nous pensons que ces objectifs doivent être poursuivis avec combativité par la communauté des chercheurs en enseignement des mathématiques. Ces chercheurs sont dans la meilleure position qui soit pour créer et soutenir la meilleure solution possible.

Nous concluons ici en proposant une voie qui nous semble plus utile, plus riche et plus durable. Nous proposons la construction systématique et cohérente d’une base de connaissances qui éclaire efficacement les liens entre enseignement et apprentissage et qui propose des théories expliquant les mécanismes à l’origine de tels liens. Les chercheurs devront participer à cet effort en accumulant des connaissances sur les relations enseignement–apprentissage qui ont un intérêt direct pour les enseignants dans leurs classes et en recherchant avec constance les preuves permettant que des recommandations soient élaborées avec une fiabilité suffisante. Nous espérons que ces efforts seront appliqués à différents modèles de collaborations entre chercheurs et enseignants (Hiebert et al., 2002 ; Ruthven, 2002) et seront caractérisés par les principes que nous avons évoqués dans ce texte. L’enseignement efficace sera étudié en relation avec des apprentissages clairement identifiés et mesurés de façon à ce que les conclusions soient formulées, non pas sous la forme « la méthode A est efficace » mais sous la forme « la méthode A est efficace dans les conditions X pour les apprentissages Y ». Les hypothèses et les théories guideront tous les aspects du processus de recherche de façon à ce que des conjectures puissent être proposées qui expliquent pourquoi et comment les caractéristiques d’enseignement ou les systèmes ciblés favorisent (ou ne favorisent pas) les apprentissages des élèves. Les conditions dans lesquelles les caractéristiques sont efficaces seront détaillées de façon à ce que les utilisateurs puissent interpréter ces conclusions à la lumière de leur propre situation. Des tests sur les hypothèses concernant les relations entre enseignement et apprentissage seront répliqués dans des contextes variés pour étudier l’influence de facteurs contextuels de manière à ce que les conclusions soient tirées avec la plus grande fiabilité et précision possible. Les revues de la littérature rechercheront les ensembles de résultats cohérents et stables, émanant d’études conçues avec des méthodes de recherche différentes pour augmenter la fiabilité avec laquelle les conclusions peuvent être tirées.

Pour construire cette base de connaissance plus riche que nous appelons de nos vœux, les débats doivent s’éloigner des discussions sur la détermination de méthodes de recherche appropriées pour se rapprocher de questions relatives à l’amélioration de la qualité des méthodes de recherche employées. Que la mise en œuvre de plusieurs types de recherche soit plus favorable que l’utilisation d’un seul type de recherche doit être un principe acquis et les chercheurs doivent se mobiliser pour rassembler des données avec des niveaux importants de fiabilité, quelle que soit le type de recherche employé. Des discussions comme celles initiées par Hanna (1998), Kilpatrick (1993), Lester et Lambdin (1998), Nissen et Blomhøj (1993), et Simon (2004) sur la qualité des recherches dans l’enseignement des mathématiques devraient se poursuivre et s’étendre.

Une base de connaissance telle que nous l’attendons ne peut pas se construire sans moyens. Conduire des études comparatives de grande ampleur sur les enseignements et qui fourniront des informations cruciales, est particulièrement onéreux. Constituer des réseaux de chercheurs qui peuvent lancer des séries d’études coordonnées et construire un enchaînement cohérent de travaux requiert un investissement à long terme. Aucune entreprise de recherche ayant conduit à des avancées significatives n’était chichement financée. Les fonds pour la recherche sur l’enseignement des mathématiques aux USA proviennent essentiellement de la National Science Foundation et de l’U.S. Department of Education, et, comme l’a souligné une étude menée par le RAND sur le financement des recherches en éducation des mathématiques de 1996 à 2001, aucune de ces organisations gouvernementales n’a de stratégie à long terme visant à financer la recherche pour l’enseignement des mathématiques et son développement. En fait, le budget pour la recherche et le développement de ces deux organisations constitue une part minuscule de leur budget total pour l’éducation (Lacampagne, Newton et Markham, 2001). Rassembler des informations basées sur des preuves de bonnes qualités au sujet des relations enseignement–apprentissage dans les classes de mathématiques demanderait beaucoup plus d’argent que ce que les États–Unis sont actuellement disposés à dépenser.

La base de connaissance que nous envisageons et qui ferait le lien entre les enseignements et les apprentissages en mathématiques commence à prendre forme, malgré les ressources limitées. Mais elle reste difficile à repérer. Cachée dans les archives des bibliothèques et éparpillée dans le temps, elle est perdue dans le flot d’innombrables informations. Les enseignants (et les chercheurs) doivent déployer trop d’efforts pour y accéder. Des publications récentes ont pu rassembler des informations (English, 2002 ; Kilpatrick et al., 2003 ; National Research Council, 2001 ; Second Handbook of Research on Mathematics Teaching and Learning, 2007), et nous espérons que ce texte va contribuer à ces efforts. Mais la plus grande partie de ce travail se fait a posteriori, imposant aux chercheurs de devoir détecter certains modèles à travers des travaux conduits indépendamment les uns des autres, sans connexion entre eux. Beaucoup de temps pourrait être gagné en lançant des programmes de recherche connectés, et ce de façon intentionnelle et explicite. Par le développement de théories, la mise en œuvre de réplications planifiées et d’autres activités de recherche connectant les différentes communautés de chercheurs, une base de connaissance cohérente, riche, accessible et utile, peut être construite. Les questions du type « qu’est–ce qui marche ? » (what works ?) pourraient alors trouver une réponse, avec toute la richesse et l’exactitude que les enseignants méritent.

Les ressources

  • Référence complète : Hiebert, J., & Grouws, D. A. (2007). The effects of classroom mathematics teaching on students’ learning. In F. K. Lester Jr. (Ed.), Second handbook of research on mathematics teaching and learning (pp. 371-404)
  • Télécharger ici la traduction au format pdf.
  • Cette traduction a également été auto-éditée sur Bookelis (ISBN : 978-2-901725-00-8)
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